Histo Crypto : la Grande Pyramide de Gizeh est-elle la première blockchain ?

Histo Crypto : la Grande Pyramide de Gizeh est-elle la première blockchain ?

Ecrit parJean-Martial Lefranc

Mis à jour parCélia Simon

Et si la Grande Pyramide de Gizeh, loin d’être seulement un tombeau monumental, pouvait être lue comme une machine à fabriquer de la confiance ? Au cœur de la blockchain, on raconte une histoire similaire : des blocs empilés, une règle simple répétée à l’infini, une preuve par le travail qui rend la falsification disproportionnellement coûteuse, et un registre public dont l’objet est moins l’information elle-même que la certitude autour de cette information. Deux mondes, près de 4 500 ans d’écart, un même problème : comment produire de l’irréversibilité sociale.

Bien sûr, la pyramide n’est pas une base de données et Satoshi Nakamoto n’a jamais revendiqué l’Égypte antique dans ses sources. Mais l’objectif de cet article n’est pas d’affirmer une filiation historique ; c’est d’explorer un parallèle heuristique : comparer la manière dont les Égyptiens ont érigé un édifice inviolable à la manière dont une blockchain réalise une histoire des transactions inviolable — et se demander, à tout le moins, si l’architecture mentale sous-jacente (la confiance par la structure) n’a pas ce parfum d’universalité qui rend l’analogie féconde. En filigrane : la possibilité que l’imaginaire des pyramides, cette figure du registre éternel, ait pu inspirer, métaphoriquement, l’auteur du white paper de 2008.

Avant de parcourir le plateau de Gizeh, rappelons la mécanique minimale d’une blockchain publique :

À l’arrivée, on obtient un registre append-only, c’est-à-dire qui s’écrit toujours au sommet, sans effacer le passé. Architecture et économie se combinent pour imposer une asymétrie : facile d’ajouter honnêtement, exorbitant de tricher.

Transposons : que fait la pyramide ?

Pyramide et blockchain ne poursuivent pas le même but, mais posent le même théorème pratique : l’irréversibilité se fabrique par la structure et par le coût, pas seulement par l’autorité.

Une blockchain exige des blocs conformes à un certain format (en-tête, hash, horodatage, racine de Merkle). La pyramide exige des pierres conformes à une métrique (dimensions, faces dressées, joints). Dans les deux cas, la standardisation est la clé de l’échelle :

Leçon : l’irréversibilité n’est pas seulement affaire de masse ; c’est d’abord un protocole de standardisation. Plus les modules sont homogènes, plus la structure globale résiste au désordre.

La preuve de travail impose que le mineur dépense de l’énergie pour produire un bloc valide (trouver un hash satisfaisant une condition). Symboliquement, la pyramide impose la preuve par le travail au sens littéral : extraire, transporter, lever, régler. Mais l’analogie devient plus subtile quand on observe la difficulté :

Leçon : l’irréversibilité émerge d’un coût cumulatif. La pyramide « règle » sa difficulté par la gravité ; la blockchain la règle par le cryptogramme. Dans les deux cas, l’histoire récente est encore flexible ; l’histoire profonde devient sacrée.

Des marques rouges dans des chambres de décharge, des graffitis de gangs de tailleurs, des cartouches : la pyramide porte des traces internes de sa fabrication. Leur fonction exacte n’est pas cryptographique, mais organisationnelle : identifier des équipes, dater, contrôler.

On pourrait dire que les marquages répondent à la même intention que les en-têtes d’un bloc : documenter l’intégration du module à la structure. Là où le hash est calculé, la marque est inscrite ; mais dans les deux cas, elle atteste : « ceci appartient légitimement à l’édifice ».

Une objection immédiate surgit : la pyramide est centralisée (un souverain, un vizir, des architectes) ; la blockchain publique se dit décentralisée. Vrai — mais penchons-nous sur la gouvernance effective :

Dans les deux cas, la règle est au-dessus des exécutants et produit un ordre capable de survivre aux personnes. On peut dire que la pyramide représente une décentralisation de l’exécution (des milliers de travailleurs, d’équipes et d’ateliers) sous une centralisation de la vision ; tandis qu’une blockchain publique vise une décentralisation de la vision (code ouvert, gouvernance répartie) et de l’exécution. Sur le spectre, la pyramide n’est pas l’opposé exact de la blockchain ; elle en est une variation où le protocole social a précédé le protocole logiciel.

Une blockchain fonctionne parce que des incitations l’animent : récompense de bloc, frais de transaction, valorisation du token. Le chantier pharaonique mobilise d’autres moteurs :

La soutenabilité de l’effort dépend de l’alignement de ces incitations. Une blockchain cesse de se sécuriser si la récompense nette des mineurs devient négative ; un chantier s’enraye si l’État ne nourrit pas ses ouvriers ou si la légitimation symbolique s’effondre. Là encore, l’analogie éclaire l’essentiel : aucune structure irréversible ne tient sans flux d’incitations.

La propriété la plus poétique d’une blockchain est d’être append-only : on n’efface pas, on ajoute. La pyramide en propose l’allégorie minérale. Un bloc de pierre posé hier demeure le contexte de tout ce qui se posera demain. La structure « se souvient » mécaniquement de sa propre histoire par la simple accumulation ordonnée.

Dans l’informatique, cet append-only sert la traçabilité ; dans l’architecture monumentale, il sert la postérité. Mais la dynamique est la même : l’histoire s’enracine physiquement dans la structure. Le sens (religieux, politique, économique) émerge de l’empilement discipliné de modules validés.

Les blockchains rencontrent le problème des oracles : comment introduire des données du monde réel sans compromettre l’intégrité du protocole ? Les Égyptiens affrontent, à leur manière, un défi frère : aligner un édifice sur les axes du monde (nord vrai), maintenir une pente uniforme, garantir un niveau de base. Leur « oracle » est la mesure : coudée royale, cordes à nœuds, observations astronomiques. Le protocole de mesure, transmis et standardisé, injecte des « vérités externes » (nord, niveau) dans l’édifice sans briser la cohérence interne.

Leçon : le protocole n’est pas tout ; il lui faut des interfaces fiables avec le réel. La pyramide comme la blockchain ne valent que par la qualité de ces interfaces — qu’elles soient astronomiques ou cryptographiques.

Une blockchain craint la tentative de réécriture (attaque 51 %), la censure coordonnée, la faille logicielle. La pyramide craint le vandalisme, le pillage, l’érosion. Dans les deux cas, la sécurité relève d’un panier de défenses :

La différence majeure : une blockchain peut forker (bifurquer) pour corriger ; la pyramide ne bifurque pas — elle conserve. Ce qui renforce l’intuition que la pyramide est l’archétype de la finalité : une fois posée, l’histoire est close.

Venons-en à la suggestion qui pique : Satoshi Nakamoto a-t-il pu être inspiré, même lointainement, par l’idée de la pyramide comme registre incorruptible ? Aucune source ne l’atteste. Le white paper de 2008 convoque des références cryptographiques (Hashcash, chaînes de preuve de travail), pas d’archéologie. Pourtant, trois arguments plaident pour une parenté d’imaginaire :

Il est donc plausible que, indépendamment de l’Égypte, Satoshi ait puisé dans un réservoir d’idées universelles — celles que toute civilisation expérimente lorsqu’elle veut ancrer une vérité dans un substrat difficile à manipuler. Les pyramides ont cristallisé, pour des millénaires, l’archétype de l’inviolabilité par la forme. Que cette idée flotte dans l’air du temps et nourrisse l’imaginaire de l’irréversibilité n’a rien d’extravagant.

Pour rester honnête, soulignons quatre limites :

Ces limites ne ruinent pas l’analogie ; elles bornent sa portée. Elles indiquent qu’on compare deux techniques d’irréversibilité issues de contraintes et de valeurs différentes.

Poussons le jeu : une arborescence de Merkle regroupe des transactions par paires, calcule des hashs parents, jusqu’à une racine unique. La pyramide n’est pas un arbre, mais sa logistique l’était sans doute : carrières, ateliers, équipes, convois, rampes — des branches qui convergent vers un sommet (la pose). Le sommet ne « contient » pas toute l’information, mais il la résume : le tumulus est la racine visible d’un processus dont les preuves locales se trouvent disséminées (traces de taille, inscriptions d’équipe, micro-variations pétrographiques).

Si l’on imaginait une pyramide-Merkle, chaque module « signerait » sa filiation (atelier → convoi → couche), et l’ensemble fournirait une preuve combinée d’intégrité. Fiction ? Oui. Mais la pensée Merkle — compresser une histoire logistique en un sommet vérifiable — parle étrangement le langage des pyramides.

On dit des blockchains qu’elles sont des horloges socio-techniques : elles mesurent le temps par la suite des blocs. Les pyramides sont des horloges politico-religieuses : elles mesurent une durée que le pouvoir veut inscrire dans le paysage. Le consensus de la blockchain, c’est l’accord en temps réel des nœuds. Le consensus de la pyramide, c’est la postérité qui, en continuant d’accorder foi à cet édifice comme mémoire, ratifie son autorité.

Paradoxe : la blockchain a besoin d’un présent perpétuel (les blocs se minent ici et maintenant) ; la pyramide vit d’un futur perpétuel (chaque génération la re-légitime en la conservant). Mais l’effet recherché est identique : produire du temps stable à partir du tumulte humain.

Comparer pyramide et blockchain, c’est comparer deux éthiques de la preuve :

Dans les deux cas, la vigilance est de mise : célébrer la technè qui nous libère de certaines tromperies sans devenir aveugle à sa politique.

La Grande Pyramide n’est pas la première blockchain : elle ne distribue pas l’autorité, ne chiffre pas, n’exécute pas de smart contracts. Mais elle constitue une intelligence structurelle de l’irréversibilité : modules standardisés, règles stables, preuve par le travail, coût prohibitif de falsification, preuve publique. À ce titre, elle offre une métaphore opératoire pour comprendre pourquoi une blockchain fonctionne — au-delà des détails cryptographiques — et comment une société, à toute époque, peut décider d’encapsuler sa confiance dans une forme.

Quant à Satoshi Nakamoto, il est plus raisonnable de parler de convergence d’intuitions que d’inspiration directe. La pyramide appartient à ces mythes d’ingénierie qui hantent l’imaginaire mondial : l’idée qu’une forme peut garantir une vérité par sa structure même. La blockchain, humblement, reconduit ce mythe dans le langage du calcul et du réseau. Entre les deux, un fil : la volonté d’inscrire, dans un monde incertain, quelque chose qui tienne.

Si l’on devait graver une phrase au fronton d’une école de crypto-ingénierie, empruntée au plateau de Gizeh, ce serait peut-être celle-ci : « Rends la triche plus lourde que la vérité. » Tout le reste — pierre, code, rampe ou hash — n’est que réalisation concrète de cette maxime.

La morale de l’histoire : Empilons les blocs pour gagner notre éternité.

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Auteur : Jean-Martial Lefranc

Date de publication : 12 October 2025

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